Comment devenir crétin?
Au XVIIIe siècle, les quelques voyageurs qui s’aventuraient dans les vallées alpestres rapportaient à la fois des souvenirs grandioses et des visions inquiétantes : celles des crétins des Alpes.
« Les imbéciles, qu’on appelle crétins, sont en grand nombre, explique ainsi Thomas Martyn dans son Guide du voyageur, publié en 1788. Ici, les goitres ou cous enflés commencent également à être communs. Leur corps ressemble à celui d’un nain, la physionomie est difforme et sombre, et l’esprit dépourvu de toutes ses facultés. Il ne reste dans quelques-uns qu’un mouvement lourd et pesant, avec une grimace qui ne signifie rien ou qui montre seulement que le crétin est un simple animal vivant. »
24 départements touchés
Vers 1850, la France recense environ 20 000 crétins dans ses régions montagneuses, notamment autour des massifs des Alpes et des Pyrénées, soit 24 départements touchés, ce qui est loin d’être négligeable. « Le crétin est de petite taille et son infantilisme se poursuit longtemps, détaille un médecin de l’époque. Le front est bas, le faciès souvent ridé, la mimique inexpressive. Quant à l’état mental, il va de l’idiotie jusqu’à l’arriération simple, suivant les cas. »
Car la Faculté commence fort heureusement à s’intéresser au sujet : des études sont lancées, des experts décortiquent causes et symptômes. Tout y passe, on met en cause les miasmes d’altitude, la toxicité géologique, la qualité des eaux, la consanguinité des familles… Quelques médecins pionniers, pointent du doigt le déficit d’iode dès le premier quart du XIXe siècle, mais ne seront guère écoutés
« L’histoire du crétinisme et de son éradication est celle d’un retard, estime l’historien Antoine de Baecque. Celui d’une recherche médicale qui, par ses hésitations, ses disputes, ses certitudes aveugles et ses susceptibilités mal placées, a sacrifié à sa prudence et à ses dissensions, trois générations de crétins. » Soit environ 50 000 hommes, femmes et enfants entre 1830 et 1900, tous victimes de handicaps qui auraient pu leur être préservés.
Cobayes
Pendant ces années, on cache ces malheureux, dans les familles ou les asiles, les villages faisant souvent œuvre de charité en leur trouvant de simples emplois agricoles. Certains aliénistes prônent un début de suivi, une forme de rééducation dans des centres adéquats, notamment en Suisse, mais qui restent marginaux.
Découverte
Il faut attendre le début du XXe siècle pour que l’on songe enfin à s’attaquer aux racines du mal. Finalement, c’est en 1922 que le mystère est percé : le crétinisme des Alpes est la conséquence d’une insuffisance d’iode pour ces habitants qui se trouvent éloignés des mers et en altitude et ne mangent pas de poisson.
Un changement de l’alimentation, une alimentation plus iodée, résoudra rapidement le problème.